(ce texte est très long et un peu plus rédigé, c'est parce que je l'ai écrit pour un concours de carnet et récit de voyage... avant de me rendre compte que je devais en couper la moitié pour me plier aux consignes du concours! Et donc oui, sorry it's french and I won't translate...Use Google for that! ; ) )
14 Mars 2010, Buffalo
Après Detroit, me voilà donc à Buffalo, dans l'état de New-York. C'est ma dernière destination avant de repasser par la Grosse Pomme pour prendre mon vol retour. Si je suis venue à Buffalo, c'est parce que je suis passionnée d'architecture industrielle, et qu'y sont réunis les plus impressionnants "Grain Elevators" des Etats-Unis. Grain Elevator? Ascenceur à grain? La traduction la plus proche serait silo à grain. Mais beaucoup plus imposant que ceux que l'on peut croiser sur les routes de campagne françaises. A Buffalo, ces monstres monolithiques sont à l'abandon, en état de décrépitude en bordure de la rivière. Mystérieux pour quiconque leur prête un peu d'attention.
Ils ne servent plus aujourd'hui à l'industrie agricole mais sont un témoignage de l'âge d'or de Buffalo en tant que "grenier du monde" au 19ième siècle. Aux Etats-Unis, les céréales sont cultivées en abondance dans le Midwest (Minnesota - Iowa- Missouri- Wisconsin - Illinois - Michigan - Indiana - Ohio). A l'époque, la production était acheminée soit par bateau vers la Nouvelle Orléans puis l'Europe, soit vers l'Est américain par voie ferrée à travers les Appalches. Un trajet très long et fastidieux, qui aboutissait à la perte d'une grosse partie de la cargaison.
Etant donné qu'à l'Est la population et ses besoins agro-alimentaires ne cessent d'augmenter, il faut trouver des solutions pour approvisionner plus vite et en plus grosse quantité. L'ouverture du canal Erie en 1825, qui relie le lac éponyme à l'Hudson River, marque le début de Buffalo comme point de passage stratégique des navires vers New-York. Ce canal étant étroit et peu profond, les cargos en provenance de l'ouest par le lac Erie étaient déchargés de leur marchandise à Buffalo, et celle-ci était répartie sur d'autres navires plus petits et adaptés au canal. En 1842, Jospeh Dart crée les Grains Elevators pour stocker les céréales le temps que durait ce transit, parfois quelques jours. Cette invention architecturale présentait de nombreux avantages: le grain était maintenu en vrac, sec, frais et à l'abri des parasites tels que les rats, les oiseaux et les vers. Cela permettait également de peser le grain, et de prélever des échantillons pour des raisons sanitaires. On en compte 27 en 1863.
Buffalo connaît son apogée en tant que "plaque tournante des céréales" dans les années 1920. Son activité connaît une première baisse en 1932, due à l'ouverture du Canal de Welland, puis en 1959 avec l'ouverture de la Voie maritime du Saint-Laurent, deux voies naviguables reliant le Canada (aussi gros exportateur de céréales) à l'Est. Dans les années 1960, le traffic du grain est "décentralisé" et le transit via Buffalo diminue fortement jusqu'à pratiquement diparaître.
L'histoire industrielle américaine est passionnante, et j'aime découvrir comment celle-ci a généré des formes architecturales.
Chez mon couchsurfer serrurier, Hillel. Je dors sur un matelas à l'arrière de sa boutique. Ce matin, je me lève à 9h, on a prévu de commencer le "Grain-Elevator-Tour" assez tôt. Hillel est parti dépanner un mec coincé sur un parking, les clés à l'intérieur de sa voiture, pas de bol, buddy. Je fais du café en attendant son retour.
On prend son van, j'embarque mes notes (je me suis assez bien documenté avant le départ, sur leur histoire, leurs emplacements), on roule jusqu'à la fin de Mainstreet, et à peine sortis de la ville j'aperçois déja des silhouettes intéressantes. Hillel connaît bien le coin, après trois kilomètres sur un chemin boueux défoncé, nous sommes au pied du Concrete Elevator et du Cargill Elevator. J'en suis sans voix. On gare le van à côté de la voie ferrée, et on part à pied en exploration. Des biches galopent devant nous. Un chemin approximatif mène au Concrete Elevator, le plus grand, et celui dont on peut le plus s'approcher, d'après mes recherches. En effet il n'y a aucune barrière, on arrive vraiment à ses pieds. C'est un magnifique édifice, gigantesque, planté au milieu de nulle part, au bord de la rivière. Au fur et à mesure que je me rapproche, j'entends des voix, et comme des petits coups ou des pétards. J'aperçois des formes sombres en mouvement au fond. Puis je vois une silhouette, sortir du bâtiment, habillée en tenue militaire. Pendant deux secondes, j'ai les jambes qui faiblissent, je panique complètement: c'est un excercice GI top secret, ou un entrainement terroriste, ils vont vont me descendre pour que je ne parle pas, pour ne pas que je dévoile cet attentat qui se prépare sous mes yeux. Je pars en courant à la recherche d'Hillel, j'espère qu'ils ne l'ont pas déja buté. En fait, il discute avec l'un des types en combinaison camouflage. Tranquille. J'ai le temps de les observer un peu plus en détail. En fait...ils font...du PAINT-BALL! Quelle idée absolument géniale! Faire du paint-ball dans un Grain-Elevator, 'tain les gars, la madness!!! On laisse les paintballers se cannarder gentiment et on rentre par l'autre extrémité de l'Elevator. Je flippe un peu quand même, à l'intérieur c'est sombre, grinçant. Des tas de trucs rouillés gisent là, poutres, câbles, carcasses de voitures, nous déambulons au milieu de tout ça. Je suis vraiment ébahie, et contente qu'Hillel ait marché dans l'aventure avec moi, il ne doit pas souvent avoir des "couchrequests" aussi bizarre: Can you host me a few days? And, do you want to seek out grain elevators with me?
Après ce premier contact, on reprend la voiture pour inspecter d'autres sites. Il y en a beaucoup autour d'Ohio Bridge: Erie Freight House, the Standard Elevator, the Electric Elevator, the Lake & Rail Elevator (il est parfois dur de les identifier). On ne peurt pas toujours s'approcher en voiture, à l'origine les Grain Elevators ont été construits au bord de rivières car on y accédait uniquement par voie fluviale. Ce qui explique la présence du bateau-pompier, the Edward M. Cotter, en cas d'incendie, les véhicules de secours ne pouvaient rappliquer par la route. On inspecte donc les environs à pied, en essayant de prendre quelques belles photos, par contre pour les croquis c'est impossible, mes doigts sont gelés. Buffalo est réputée pour être une des villes les plus froides du pays. Dire qu'il y a deux semaines j'étais en tee-shirt sur Venice Beach à LA. Ca me paraît tellement loi, j'ai tellement froid.
On repart en van, en roulant au hasard on en aperçoit deux au bord du lac Erie. C'est étrange, les Elevators sont censés être abandonnés, mais à chaque fois on entend du bruit, on voit deux-trois gars s'affairer. Comme si finalement ils avaient conservé une petite activité, recyclés en port, hangard à bateau, lieu de stockage d'équipements... Ces deux-là sont magnifiques, blanc décrépi, vue sur le lac gelé. A côté de nous une voiture de flic est garée, les cops doivent venir ici pour faire une pause et manger leurs donuts en paix. Séance photo sur un ponton qui s'écroule, puis c'est reparti, la dernière zone qu'il nous reste à inspecter, c'est autour du Michigan Bridge. On refait un passage par le downtown de Buffalo en arrivant par l'autoroute aérienne, le Skyway, d'où on a une très belle vue du périmètre des Elevators. Hillel me dit qu'avant ma venue il n'avait jamais vraiment fait attention à ce paysage, même s'il lui est familier. "I've lived in Buffalo for more than 2 years now, and finally, thanks to you I've done some exploring". You're welcome, buddy!
On tourne un peu en rond pour trouver le Michigan Bridge, oui, le GPS ne nous est pas d'une grande aide en rase campagne... On s'arrête à coté des rails de chemin de fer en face d'un des plus beaux bâtiments de ce tour, le The Agway/GLF Elevator. Il semble être en démolition, il y a des engins de chantier et des gros tas de feraille. Quand on passe la tête à l'intérieur, il y a un mètre d'eau gelée avec divers objets et végétaux emprisonnés (j'ai toujours un peu peur de regarder...dans le Concrete Elevator on a vu une biche morte). Le vent est assez violent, et fait claquer des plaques de taule plus très solidement attachées. C'est un paysage complètement dévasté, voire post-apocalyptique. Ca fait froid dans le dos. Mais c'est beau, ce charme industriel désolé, par ce froid bleuté. Surréaliste. On fait le "tour du propriétaire", Saint Mary Cements (autrefois le Kellogg Elevator, une grosse partie a été démolie mais quelques bacs sont encore utilisés pour stocker du ciment), the General Mill Factory (à l'origine un moulin à farine), the Michigan Lift Bridge...
Après trois bonnes heures d'exploration, on checké à peu près tous les endroits remarquables de notre plan. Je commence à être épuisée par la marche, frigorifiée et affamée. Hillel a son compte aussi. Il me propose d'aller manger les célèbres Buffalo Wings, spécilité locale (ailes de poulet à la mode Buffalo). Je suis à la fin de mon voyage et de mon budget, ça fait une semaine que je me nourris de pain, pommes, et nouilles chinoises déshydratées, donc je pense que Oh Yeah, j'ai bien mérité un vrai repas pour reprendre des forces. L'endroit s'appelle Franck & Theresa at Anchor Bar. Ca à l'air d'avoir la côte, un watering hole (= bar du coin). Il y a un magasin de souvenirs à l'entrée, des gamis sont en train d'essayer de chapeaux en caoutchouc en forme de pilons de poulet géants, ha ha! On fait la queue pour avoir une table même à 16h, on est installés "en amoureux" à côté du bar. Hillel commande pour nous deux, et trentes (longues) minutes plus tard, apparaît sur notre table comme par enchantement, une montagne d'ailes et cuisses de poulet baignant dans une sauce rouge épicée, accompagnée de frites king size. On mange avec les mains, je ne maîtrise pas complètement la technique, je m'en mets absolument partout, sur les mains, le visage, et quand j'essaie d'essuyer j'étale encore plus. Je vais pouvoir brûler mon tee-shirt. C'est succulent, mais même avec mon apétit de fille qui n'a pas mangé de solides depuis trois jours, je n'arrive pas à finir mon assiette alors on demande un doggy bag (amusant, "doggy bag" peut s'employer en tant que verbe transitif, comme dans "I got the rest doggybagged" = on m'a doggybagé le reste). Hillel m'invite. C'est ça le couchsurfing. Les gens t'accueillent chez eux à bras ouverts, tu squattes tout chez eux, tu te sers dans le frigo et la plupart du temps tiennent à t'inviter pour un resto. Il me fait juste lui promettre de lui payer un verre (ou deux ou trois...) en échange. Ce qui tombe plûtot bien car c'est la Saint Patrick! En France, c'est juste une occasion d'être bourré un dimanche aprem, ici c'est la grosse fiesta (il y a beaucoup d'immigrés irlandais aux Etats-Unis), tout le monde est dans les rues, déguisé ou habillé en vert. Les policiers ont matraques dans une main et gin-tonic dans l'autre. Je reconnais être passée dans ce quartier deux jours plus tôt, sous la pluis, mais c'était desespérement vide! On passe un moment dans ce pub, the Nietzsche, il y a un rockband. On prend quelques Guiness pour commencer, Hillel paye ses shots de vodka (oh God il n'est que 17h), puis on change de coin pour aller dans le quartier des nightclubs. Sur le chemin on s'échange nos histoires de voyage, Hillel est vraiment un personnage, un peu lunatique, parfois très froid, parfois très enthousiaste et amusant. Ses histoires me font rêver.
"You love electronic music right?". Il me traine dans une boîte, le Third Room, où la musique est en effet très techno, puis drum n bass, du gros son qui vibre. Les gens dansent comme des fous, comme si on était un samedi un soir au RexClub... alors qu'on est dimanche après-midi. Je ne sens plus mes jambes. Des filles en combinaisons vertes pailletées donnent des accolades à des gars déguisés en lutins.
J'aime ce genre de situation. Voyager, c'est ça aussi, des moments un peu surréalistes. Ce genre de journée hors du commun.
Ah oui je suis allée aux chuttes du Niagara aussi... et même au Canada. Il faisait pas beau.